Bataille du Saint-Laurent | l'Encyclopédie Canadienne

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Bataille du Saint-Laurent

La bataille du Saint-Laurent s’inscrit dans le prolongement de la bataille de l’Atlantique plus grande, soit la campagne allemande durant la Deuxième Guerre mondiale visant à perturber le trafic maritime entre l’Amérique du Nord et le Royaume-Uni. De 1942 à 1944, les sous-marins allemands (U-boots) ont fait de multiples incursions dans les eaux du fleuve Saint-Laurent et du golfe, coulant 26 navires et tuant des centaines de personnes. C’était la première fois depuis la guerre de 1812 que des batailles navales étaient menées dans les eaux intérieures du Canada.

Bataille de l'Atlantique

Route d’approvisionnement cruciale

À mesure que la guerre en Europe s’intensifie, la demande d’approvisionnement pour soutenir l’effort de guerre et pour répondre aux besoins de la population civile du Royaume-Uni augmente. Les ports situés le long du Saint-Laurent, comme ceux de Montréal, de Trois-Rivières et de Québec, jouent un rôle clé dans cet effort. Les ports de Halifax et de Sydney en Nouvelle-Écosse deviennent quant à eux des points de rassemblement clé pour les convois de ravitaillement qui se dirigent outre-mer.

Alors que la bataille de l’Atlantique fait rage, les politiciens canadiens et les responsables de la marine estiment que ce n’est qu’une question de temps avant que les sous-marins allemands amorcent leurs attaques meurtrières dans le golfe du Saint-Laurent. Dans un discours prononcé à la Chambre des communes le 25 mars 1942, le premier ministre William Lyon Mackenzie King déclare : « Les officiers de la Marine canadienne (voir Marine royale canadienne) ont exprimé l’opinion que d’ici quelques mois des sous-marins pourraient être en opération dans le golfe, et même dans le fleuve Saint-Laurent. Il est bien connu que les sous-marins ennemis sont en mesure de quitter leurs bases sur le continent européen, de voyager jusqu’aux côtes de ce continent, de chercher leurs proies pendant des jours ou des semaines, et de retourner à leurs bases sans devoir se ravitailler. »

Le 1er mai 1942, afin de protéger la navigation dans le Saint-Laurent, la Marine ouvre une nouvelle base, le NCSM Fort Ramsay, à Gaspé au Québec. La base ne dispose que d’un vaisseau de 18 mètres et n’a aucun avion; cette présence s’avère tout à fait insuffisante quelques jours plus tard.

Les premières attaques

Quelques jours seulement après l’ouverture de la base de Gaspé, le premier sous-marin allemand, le U-553, entre dans le golfe du Saint-Laurent. Tard dans la soirée du 11 mai 1942, le U-553 attaque sa première cible au large de la côte nord de la péninsule gaspésienne. À 23 h 52, le navire marchand britannique SS Nicoya en provenance de Montréal pour aller rejoindre un convoi à Halifax est frappé par une torpille. Dix-neuf minutes plus tard, alors que l’équipage évacue le navire, il est atteint d’une deuxième torpille. Six membres de l’équipage perdent la vie.

Deux heures plus tard, le U-553 attaque à nouveau, touchant un autre cargo, le SS Leto. Celui-ci coule en quelques minutes, et 12 de ses 43 membres d’équipage sont tués.

Malgré le risque connu que posent les sous-marins allemands lorsque les attaques surviennent, ils prennent les navires marchands par surprise. Un membre d’équipage déclare plus tard aux médias : « Nous n’avions pas d’artilleur montant la garde… Nous n’avions jamais eu de garde sur le fleuve Saint-Laurent, et nous ne devions commencer à monter la garde que le lendemain matin après ce naufrage. »

La réponse rapide aux premières salves de la bataille du Saint-Laurent démontre à quel point les autorités canadiennes sont mal préparées. La base de Gaspé étant dépourvue d’avions et n’ayant qu’un petit navire sur place, un dragueur de mines est dépêché sur les lieux en provenance de Sydney; des avions sont envoyés de Dartmouth en Nouvelle-Écosse.

Le commandement de la côte atlantique de la Marine cesse immédiatement tout trafic entrant et sortant sur le Saint-Laurent. Les convois reprennent quelques jours plus tard avec des escortes navales renforcées et des avions supplémentaires pour la surveillance aérienne.

Saison maritime meurtrière

Les attaques suivantes se produisent sept semaines après le naufrage du SS Leto. Au petit matin du 6 juillet 1942, un autre sous-marin allemand, le U-132, chasse un convoi de douze navires en route de l’île du Bic au Québec vers Sydney en Nouvelle-Écosse, les torpillant et coulant les trois navires.

Fleuve Saint-Laurent

Alors que la guerre s’approche du pays, les médias et les politiciens critiquent le gouvernement de ne pas en faire assez pour protéger le transport maritime sur le Saint-Laurent. L’atmosphère est particulièrement explosive au Québec, où les électeurs viennent de rejeter massivement un plébiscite national demandant aux Canadiens de libérer le gouvernement fédéral de sa promesse de ne pas recourir à la conscription pour enrôler les soldats pour l’effort de guerre. Cédant à la pression exercée par le Parlement, le premier ministre William Lyon Mackenzie King tient une rare séance à huis clos à la Chambre des communes pour informer en privé les députés sur la campagne contre les U-boots.

Peu après, de nombreux navires de l’Atlantique sont détournés de l’Atlantique et repositionnés sur le Saint-Laurent pour fournir une protection supplémentaire aux convois. Le soutien aérien passe des simples tactiques défensives à d’agressives chasses aux sous-marins, utilisant les services de renseignements pour suivre leurs mouvements et augmenter le soutien aux convois qui sont jugés plus à risque.

Bien que ces tactiques contribuent à réduire le carnage, les sous-marins continuent leur campagne meurtrière. Le 6 septembre 1942, un convoi de huit navires marchands et de cinq escortes est attaqué par le U-165 peu de temps après leur départ de l’île du Bic. Deux navires sombrent, dont le NCSM Raccoon, qui est en service d’escorte. Ses 38 membres d’équipage sont tués.

Le lendemain, un autre sous-marin, le U-517, attaque le même convoi, coulant trois autres cargos et tuant dix personnes.

Deux jours plus tard, le 9 septembre, le gouvernement fédéral ferme le Saint-Laurent à la navigation d’outremer. À l’époque, cette décision est perçue comme une amère défaite pour les Alliés. Cependant, des recherches ultérieures effectuées par les historiens démontrent que cette décision a été prise pour détourner les ressources militaires du Saint-Laurent vers la Méditerranée afin de soutenir une offensive alliée majeure et secrète planifiée contre les Allemands en Europe et en Afrique du Nord.

La fermeture du Saint-Laurent à la navigation outre-mer ne supprime pas tout le trafic maritime. Plusieurs navires continuent à utiliser cette route pour répondre aux besoins intérieurs du pays. Et le 11 septembre, le NCSM Charlottetown est torpillé et coulé par le U-517 à environ 11 km au large de Cap-Chat dans le fleuve Saint-Laurent, tuant neuf membres d’équipage. Cette corvette de classe Flower revenait à la base après avoir escorté un convoi jusqu’à Rimouski.

Toutefois, le déclin du trafic et l’intensification des patrouilles aériennes ont l’effet désiré. Les comptes rendus allemands découverts après la guerre montrent que vers la fin de 1942, les commandants allemands décident de cesser le déploiement des sous-marins allemands dans le golfe, une décision qui demeure en vigueur jusqu’à la saison de navigation de 1944.

Le SS Caribou, un traversier transportant des passagers de North Sydney à Port‑aux‑Basques, a été coulé par un sous‑marin allemand, U‑69, le 14 octobre 1942.

Le SS Caribou

La dernière attaque par un sous-marin allemand en 1942 est la plus meurtrière de la bataille du Saint-Laurent.

À l’aube du 14 octobre 1942, le U-69 se trouve dans le détroit de Cabot alors qu’il rentre chez lui après une campagne infructueuse dans le Saint-Laurent, lorsqu’il repère le traversier SS Caribou qui effectue une traversée nocturne de North Sydney en Nouvelle-Écosse à Port-aux-Basques à Terre-Neuve. À bord se trouvent 237 passagers et membres d’équipage.

Lorsque la torpille frappe le Caribou, le NCSM Grandmère, l’unique escorte du traversier, suit les directives de la marine; il passe à l’attaque, tente d’éperonner le U-69 et lâche une série de grenades sous-marines. Le U-boot parvient toutefois à s’échapper. Après deux heures, le Grandmère abandonne la chasse et retourne chercher les survivants. Le dragueur de mines sauve 103 personnes, dont deux meurent d’exposition au froid par la suite.

Bien qu’il ait respecté le protocole, la décision de retarder la recherche de passagers est déchirante pour le capitaine du Grandmère, le lieutenant James Cuthbert. « Mon Dieu. Je suis passé par la gamme d’émotions qu’on ressent dans un moment comme celui-là. Ce sont des choses avec lesquelles il faut apprendre à vivre. Vous êtes déchiré. Démoralisé. Vous vous sentez terriblement seul », déclare-t-il plus tard. « J’aurais dû continuer à pourchasser le sous-marin, mais je ne le pouvais pas. Surtout sachant qu’il y avait des femmes et des enfants quelque part. Je ne pouvais pas le faire, pas plus que je n’aurais pu larguer des grenades sous-marines parmi eux. »

La liste des morts comprend Ben Taverner, le capitaine du Caribou, et ses deux fils, cinq paires de frères (tous des membres de l’équipage) et dix enfants.

Infirmière militaire Margaret Brooke

Le saviez-vous?
L’infirmière militaire Margaret Brooke a reçu un MBE pour son héroïsme après le naufrage du SS Caribou. Margaret Brooke et son amie, l’infirmière militaire Agnes Wilkie, ont été aspirées sous l’eau. Elles ont refait surface et se sont accrochées à un canot de sauvetage chaviré en attendant les secours. Lorsqu’Agnes Wilkie a développé une hypothermie et a perdu connaissance, Margaret Brooke s’est accrochée à son amie. Malgré ses vaillants efforts, Agnes Wilkie a éventuellement été emportée par une vague.


Espions et évasions de prisons

Bien que les sous-marins allemands n’attaquent plus les navires dans le Saint-Laurent jusqu’en 1944, plusieurs s’aventurent dans le golfe pour d’autres raisons.

À minuit trente le 9 novembre 1942, le U-518 fait surface dans la Baie-des-Chaleurs, près de la ville de New Carlisle au Québec. Son équipage rame dans un canot pneumatique jusqu’au rivage et dépose Werner Janowski, un agent allemand, en sol canadien. Werner Janowski se prend une chambre à un hôtel local et il éveille aussitôt les soupçons. Les hôteliers remarquent ses vêtements européens et sa boîte d’allumettes provenant de la Belgique. Lorsque Werner Janowski se dirige vers la gare, ils alertent les autorités. Werner Janowski est soumis à un interrogatoire et il avoue éventuellement être un espion. Après une tentative infructueuse pour le convertir en agent double, il est envoyé en Grande-Bretagne pour servir de ressource aux services de renseignements britanniques.

Seuls deux sous-marins allemands entrent dans les eaux canadiennes en 1943, et tous deux participent à des missions infructueuses de sauvetage de prisonniers de guerre allemands.

À la fin avril, un sous-marin allemand est censé se rendre à North Point à l’Île-du-Prince-Édouard pour y rejoindre des prisonniers d’un camp de prisonniers de guerre près de Fredericton au Nouveau-Brunswick. Toutefois, les prisonniers sont incapables de s’échapper.

Les Allemands effectuent une autre tentative en septembre. Ce complot implique des membres d’équipage élite de sous-marins planifiant de s’évader d’un camp de prisonniers de guerre à Bowmanville en Ontario. Les renseignements canadiens découvrent le plan lorsqu’ils trouvent des documents, de l’argent liquide et de faux papiers d’identité dissimulés dans les reliures de livres allemands offerts aux prisonniers par la Croix-Rouge. Malgré l’avertissement préalable, un prisonnier parvient à s’échapper et à se rendre au point de rendez-vous de Pointe-de-Maisonnette, situé dans la Baie-des-Chaleurs au Nouveau-Brunswick. Le prisonnier évadé est arrêté sur la plage. Le commandant du sous-marin allemand de sauvetage, voyant les patrouilles accrues et l’absence de prisonniers, décide que le plan a été déjoué et il rentre chez lui.

Survivants du NCSM Esquimalt
U-190
U-190

De nouvelles vagues d’attaques

En 1944, alors que les plans du jour J sont bien avancés, la demande de ravitaillements des Alliés augmente considérablement. Les progrès en matière de renseignements et de communications permettent aux Alliés de mieux suivre les mouvements des Allemands dans l’Atlantique, ce qui signifie que les navires de ravitaillement alliés peuvent désormais naviguer sans escortes. Les convois ne sont rassemblés que lorsque les renseignements déterminent que des attaques sont possibles.

En août, les renseignements alliés interceptent des messages indiquant que des sous-marins allemands se dirigent à nouveau vers le golfe du Saint-Laurent. L’armée traque agressivement les sous-marins au moyen de patrouilles aériennes et navales, et elle les force à demeurer submergés la majeure partie du temps, ce qui permet probablement de contrecarrer plusieurs attaques.

Dans la soirée du 24 novembre 1944, le U-1228 repère le navire de guerre canadien NCSM Shawinigan accosté au large de Port-aux-Basques qui attend d’escorter le traversier Burgeo vers Sidney, pour le lendemain matin.

La torpille du sous-marin allemand provoque des dommages catastrophiques. Le NCSM Shawinigan coule sans même pouvoir envoyer un signal de détresse. Les 91 membres d’équipage sont tués.

Bien que plusieurs considèrent que le Shawinigan est le dernier navire perdu lors de la bataille du Saint-Laurent, deux autres navires de guerre canadiens sont coulés par des sous-marins allemands dans les eaux côtières canadiennes. Le 24 décembre, le U-806 coule le dragueur de mines de classe Bangor, le NCSM Clayoquot, juste à l’extérieur du port de Halifax. Bien que la plupart des hommes arrivent à s’échapper, huit d’entre eux restent coincés dans la salle des machines et coulent avec le navire.

Finalement, le dragueur de mines NCSM Esquimalt est coulé le 16 avril 1945, trois semaines seulement avant la fin de la guerre avec l’Allemagne. Le navire de guerre canadien effectue alors une patrouille anti-sous-marine lorsqu’il est torpillé et coulé par le U-190 à environ 8 km au large de Chebucto Head près de Halifax. Quarante-quatre membres de l’équipage du navire sont tués, dont plusieurs meurent des suites de l’exposition au froid alors qu’ils attendent d’être secourus. Le Esquimalt est le dernier navire de guerre canadien coulé par l’ennemi durant la guerre. (Voir aussi Naufrage du NCSM Esquimalt.)

Commémoration

La bataille amène les forces ennemies dans les eaux intérieures canadiennes pour la première fois depuis la guerre de 1812. Dans les premières phases de la campagne, les forces allemandes infligent de considérables dommages et d’importantes pertes de vies humaines. Mais les progrès de la collecte de renseignements et les patrouilles aériennes et navales de plus en plus efficaces finissent par inverser la tendance. En fin de compte, plus de 440 convois totalisant quelque 2200 navires remplissent leur mission de transport de ravitaillement crucial pour l’effort de guerre outre-mer.

Monument commémoratif d'Halifax

Les corps de nombreuses personnes tuées sont perdus à jamais en mer. Leurs noms et leurs sacrifices sont immortalisés au Monument commémoratif du parc Point Pleasant à Halifax.

En 1999, à l’occasion du 55e anniversaire de la bataille du Saint-Laurent, la gouverneure générale Adrienne Clarkson dévoile la Distinction commémorative du Saint-Laurent pour honorer le « courage, la force d’âme et le professionnalisme louables » dont ont fait preuve les marines marchandes du Canada et de Terre-Neuve.

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