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Émeutes du jour de la Victoire

Les 7 et 8 mai 1945, des émeutes éclatent à Halifax et à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, lorsque les réjouissances liées à la victoire en Europe dégénèrent à cause d’une mauvaise coordination des événements.
Émeutes du jour de la Victoire
Émeutes du jour de la Victoire (photo par David Hall avec la permission du Nova Scotia Archives and Records Management/1981-412 6)

Les 7 et 8 mai 1945, des émeutes éclatent à Halifax et à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, lorsque les réjouissances liées à la victoire en Europe dégénèrent à cause d’une mauvaise coordination des événements. Plusieurs milliers de militaires (principalement des marins), de marins marchands et de civils se saoulent et se livrent à des actes de vandalisme et de pillage.

Une enquête fédérale blâmera par la suite les autorités navales, mais l’explication tient en fait à une situation bureaucratique confuse, à une insuffisance des services de maintien de l’ordre et à une certaine antipathie entre les militaires et les civils, alimentée par la présence en ville de 25 000 militaires qui ont stressé les ressources d’Halifax durant toute la guerre.

Halifax en temps de guerre

Halifax est une ville portuaire très active durant la Deuxième Guerre mondiale. D’énormes convois destinés au transport transatlantique de troupes, de munitions et de fournitures y sont assemblés. Ils sont rejoints en mer par une escorte navale armée et bénéficient aussi d’une protection aérienne (voir Bataille de l’Atlantique). Ces activités ont fait grimper la population de près de 60 % entre 1939 et 1944 (un peu plus de 73 % à Dartmouth, la ville voisine) avec la création d’emplois gouvernementaux et militaires temporaires permettant d’entretenir les activités industrielles locales axées sur l’effort de guerre. Parallèlement, des dizaines de milliers de soldats des forces terrestres, des aériennes et navales arrivent en ville pour en repartir peu après.

Avec l’arrivée des familles des travailleurs extérieurs et des militaires stationnés temporairement, il devient clair que la ville n’est pas prête à servir et à héberger autant de monde. Le manque d’infrastructure crée des tensions dans la ville et fait naître un mépris mutuel entre les civils et les militaires. La Marine royale du Canada (MRC) elle-même n’est pas capable de loger tout son personnel et de nombreux marins sont obligés de trouver leur propre hébergement en ville. De nombreux Haligoniens prennent des pensionnaires et les traitent convenablement, mais d’autres n’hésitent pas à gonfler leurs tarifs appliqués aux nouveaux venus et aux militaires qui finissent par s’entasser dans des locaux trop petits.

Lorsque la Commission des prix et du commerce en temps de guerre est mise sur pied en octobre 1941, le rationnement de la nourriture et du carburant se fait plus sévère au Canada. Les résidents d’Halifax sont plus gravement affectés par ce rationnement à cause de la présence massive de militaires en ville. Les civils se plaignent souvent que les militaires et les navires en partance ne leur laissent aucun produit. Les résidents doivent faire face à des interruptions de services de base tels que ceux liés à la distribution de l’eau et de l’électricité, qui sont réquisitionnés pour des utilisations militaires. Les mesures d’extinction des lumières une fois la nuit tombée et la menace constante des sous-marins allemands et des attaques aériennes ont aussi contribué à porter les nerfs à vif.

Les habitants ont commencé à se méfier de cette population transitoire. Selon le rapport de la Commission royale d’enquête sur les émeutes du jour de la Victoire en Europe, « le vandalisme, notamment le saccage de vitrines et l’abattage d’auvents et de panneaux de signalisation, ont principalement été le fait de marins qui se saoulaient les jours de paie. C’était un phénomène habituel bien connu [à Halifax durant la guerre] ». Les effectifs de la Marine royale du Canada ont rapidement augmenté durant la Deuxième Guerre mondiale, passant de 3 500 marins réguliers en 1939 à quelque 96 000 marins en 1945. La formation du personnel en a souffert, en particulier pour ce qui est de la « discipline à terre ». Plus de 18 000 membres de la Marine sont stationnés à Halifax en mai 1945.

À l’époque, les restaurants et les hôtels n’ont pas le droit de vendre de l’alcool à Halifax. Les clubs privés le peuvent, mais les militaires en sont exclus. Les magasins gouvernementaux sont les seuls endroits où l’on peut acheter de l’alcool. Mais les militaires n’ont pas le droit d’être en possession de boissons alcoolisées dans leurs baraquements. Les clubs et les bordels illégaux sont les seuls endroits où les militaires peuvent boire de l’alcool, mis à part, sur leur base, les mess comportant une section où l’alcool est toléré.

Planification du jour de la Victoire en Europe

Même si la victoire des Alliés en Europe est annoncée sans préavis le 7 mai 1945, elle est attendue depuis quelque temps. À Halifax, les responsables municipaux et militaires commencent dès septembre 1944 à préparer les célébrations associées à la victoire. Des plans officiels sont dressés. Ils prévoient des services d’action de grâce dans les églises et des cérémonies du souvenir au cénotaphe d’Halifax ainsi que des défilés, des festivals de rue et des feux d’artifice pour commémorer six années de services et de sacrifices. Les débits d’alcool doivent rester fermés pour éviter tout désordre.

Compte tenu du comportement turbulent des marins en permission à terre constaté durant toute la durée de la guerre en Europe, on sait à l’époque que les militaires provoqueront sûrement des émeutes s’ils ne sont pas distraits par autre chose. Ce sentiment, conjugué à l’antipathie qui règne alors entre les militaires et les civils, fait que les militaires et les Haligoniens menacent à voix basse que la ville risque de vivre difficilement le jour de la Victoire en Europe. Le maire d’Halifax, Allan Butler, et des citoyens inquiets veulent savoir quelles mesures de protection les services armés pourraient offrir contre tout acte susceptible de provoquer des dommages en ville.

Des plans visant à limiter les situations propices aux émeutes sont formulés par des unités locales des forces armées alors que les forces alliées se rapprochent de Berlin, en avril 1945. L’Aviation royale canadienne (ARC), l’armée canadienne et la Marine royale du Canada préparent chacune des plans pour la journée. L’ARC et l’armée de terre imposent des règles de conduite et des emplois du temps stricts à leurs personnels. Elles leur offrent notamment des activités et des événements planifiés à l’intérieur de leurs garnisons respectives. Les mesures adoptées par la Marine sont par contre beaucoup plus souples.

Les services de police d’Halifax, en sous-effectif, et l’unité des patrouilles à terre de la Marine définissent également des politiques qui laissent les foules se rassembler à loisir et préfèrent minimiser les arrestations pour ivresse sur la voie publique. On pense à l’époque que le simple fait d’arrêter des marins pourrait engendre de « sérieuses émeutes ». Leonard Murray, contre-amiral dans la Marine royale du Canada, fait également valoir que de nombreuses personnes à Halifax s’écrieraient : « Voici un homme qui a aidé à gagner la guerre et vous allez l’arrêter pour être un peu pompette le jour de la Victoire en Europe! »

L’émeute

La victoire en Europe est annoncée dans la matinée du 7 mai 1945 sur les ondes de la radio civile à Halifax. Les résidents qui sont alors au travail peuvent prendre le reste de leur journée. Le personnel des forces armées continue néanmoins à travailler toute la journée. Mais des troubles surviennent le soir même durant un feu d’artifice. Une permission générale a été accordée à tout le personnel de la Marine pour des raisons qui resteront obscures.

Il en résulte des scènes de beuverie et de tapage et des actes de violence ne tardent pas à éclater. Des marins et des civils commencent à arracher des drapeaux de leur mât et brisent des fenêtres. Des marins prennent finalement la place d’un conducteur de tram et brisent les vitres du véhicule avant d’y mettre le feu. Lorsque les pompiers arrivent pour éteindre l’incendie, les marins déconnectent leur tuyau puis le sectionnent complètement.

Lorsque trois hommes sont vus en train de forcer l’entrée d’un magasin d’alcool avant de s’enfuir, la police arrive pour protéger le magasin. Un groupe de marins qui jettent des projectiles parvient néanmoins à submerger les forces de police et à piller le magasin, en compagnie de civils. Deux autres magasins d’alcool seront saccagés tard dans la nuit et les pillards s’enfuiront avec plus de 2 000 caisses de bière, de vin et de spiritueux.

Les désordres continuent le lendemain. Les marins ont accès à des cantines servant de l’alcool, mais à 13 h, ils ont déjà épuisé tous les stocks et décident d’aller en chercher à l’extérieur. Aux côtés de civils, ils submergent les gardes qui protègent la brasserie Alexander Keith’s et font passer des caisses aux passants. Des foules entières se déversent dans le centre-ville. Les vitrines et l’intérieur de nombreux magasins sont alors vandalisés ou pillés. Les gens emportent ce qu’ils peuvent, parfois des mannequins avec lesquels ils font mine de danser dans la rue, mais surtout des vêtements, des articles de joaillerie et des chaussures (qui sont peut-être les articles les plus convoités).

Si l’on fait abstraction du vandalisme et des vols, l’atmosphère générale à Halifax a quand même été décrite comme étant conviviale plutôt que criminelle.

Dans bien des cas, les marins ont prêté main-forte à la police et aux patrouilles à terre pour retenir la foule autour des débits d’alcool et des grands magasins. Le centre-ville d’Halifax sombre finalement dans le chaos, aux mains de la foule. À 17 h, le maire déclare terminées les festivités du jour de la Victoire en Europe. Mais alors que les émeutiers s’éparpillent dans cette ville, le désordre s’installe, quoiqu’avec moins d’intensité, en face du port, à Dartmouth. Un couvre-feu militaire est appliqué à 23 h et les rues se vident.

Retombées et enquête

Sur la première page du Toronto Star du 9 mai 1945, on peut lire que « le quartier des affaires [d’Halifax] ressemble à Londres après une attaque éclair », que deux soldats sont morts (le bilan officiel sera de trois morts), notamment un jeune homme de 18 ans qui « a succombé à une surconsommation d’alcool ». Un corps est retrouvé sur le campus de l’Université Dalhousie tandis que l’autre homme a été « tué dans les émeutes ».

Les dommages matériels sont évalués avec le nombre de morts et de blessés juste après les événements et une Commission royale est mise sur pied le 10 mai 1945 par décret en conseil. Le rapport de la Commission, présenté par le juge R. L. Kellock, fait l’inventaire des dommages constatés à Halifax et à Dartmouth. Plus de 200 personnes feront l’objet de poursuites (117 civils, 41 soldats, 34 marins et 19 aviateurs), pour possession d’objets pillés, ivresse sur la voie publique, absence sans permission ou d’autres motifs. Au total, 564 entreprises ont été endommagées, 207 magasins pillés et 2 624 fenêtres brisées.

Le gouvernement fédéral fournit un peu plus d'un million de dollars pour indemniser les entreprises touchées par l'émeute. La Nova Scotia Liquor Commission à elle seule reçoit 178 924 $ d’indemnité.

Dans son rapport, la Commission blâme ouvertement le contre-amiral Leonard Murray de la Marine royale du Canada, le seul Canadien responsable du commandement d’un secteur opérationnel allié durant la Deuxième Guerre mondiale. Leonard Murray est relevé de son commandement et prendra ensuite sa retraite de la Marine. En septembre 1945, il part pour l’Angleterre ou il travaillera plus tard dans le domaine juridique. Leonard Murray est mort en 1971.

Héritage

Les véritables causes de l’émeute sont plus étendues que ce que laisse penser le rapport de la Commission royale. L’incident est le fruit de plusieurs années d’antipathie entre les militaires et les civils au sein de la ville d’Halifax pendant ces temps de guerre. Si ce contexte résulte de la croissance exponentielle de la Marine royale du Canada et des immenses efforts déployés durant la Deuxième Guerre mondiale, il faut aussi noter qu’Halifax est en contact avec l’armée depuis déjà 200 ans au moment des faits. La Ville et les forces armées croient faire de leur mieux pour empêcher un soulèvement lorsqu’elles décident de minimiser les arrestations en 1945. C’est l’émeute qui a éclaté le 25 mai 1918 à la suite de l’arrestation d’un marin ivre qui motive les autorités de l’époque dans leur décision. Lors de l’incident de 1918, les soldats, les marins et les civils saccagent la mairie où se trouve le quartier général de la police et submergent les forces de police dont les effectifs sont largement insuffisants.

Les émeutes du jour de la Victoire en Europe ont servi de leçon pour la planification des célébrations associées à la victoire sur le Japon en août 1945. À Halifax, les célébrations associées à cette journée sont en effet modestes après ce qui s’est passé quelques mois auparavant.

L’armée, en particulier la Marine, est encore aujourd’hui un élément important et respecté de la société et du secteur économique d’Halifax. Les émeutes du jour de la Victoire en Europe ont laissé une tâche sombre dans les mémoires, mais la ville reste fière de sa contribution tout au long de la Deuxième Guerre mondiale.

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